mardi 1 septembre 2015

Le travail du funambule

Écrire de la narration, c'est produire une histoire, bien sûr. Mais ce n'est pas simplement ça.

Je m'explique.

Je travaille à un roman qu'on m'a commandé (dans des mots si élogieux qu'ils m'ont fait succomber!) sur un thème des plus difficiles à traiter (le roman étant en chantier et le sujet d'actualité, je me permettrai de ne pas le préciser, vous m'en excuserez). Il s'agit d'un sujet délicat pour lequel il serait facile de tomber dans le sensationnalisme, panneau où d'autres auteurs sont déjà tombés (peut-être en suis-je!), d'ailleurs. Or, le sensationnalisme nourrit les clichés et je déteste les clichés; je préfère de loin les nuances. 

Je l'ai dit et je le répète, le sujet qui m'intéresse dans l'écriture, c'est l'être humain. Je n'écris pas simplement pour divertir, je le fais pour vivre et faire vivre une expérience humaine. Et je ne vis pas dans l'aveuglement de la bonté des Hommes ni dans la croyance de leur méchanceté. Le manichéisme, très peu pour moi. Je vois de l'humanité même dans les pires injustices et il y a de la crasse partout où il y a de l'hommerie, j'en suis bien conscient. Nous sommes capables, en tant qu'espèce, du meilleur comme du pire, notre planète se charge bien de nous le rappeler.

Mais comment montrer l'humanité du bourreau sans pour autant en faire l'apologie? Ou mieux encore: comment le faire sans excuser le geste, l'exaction commise?

Voilà tout le travail qui me préoccupe en ce moment. 

Dans mon histoire, les bourreaux ont le sourire. Mes gentils ont leurs torts. Tous  font des victimes à cause d'une situation que ni les uns ni les autres ne contrôlent. Des méchants de bonne foi, des gentils qui trahissent par naïveté ou par sens du devoir... Il me faut marcher sur un fil tendu et, à la manière du funambule, ne fléchir ni d'un côté ni de l'autre.

La difficulté est grande. Je suis sans cesse confronté au choix des mots et de l'angle à prendre pour traiter des situations que je mets en scène. C'est sans aucun doute ce que je préfère dans mon travail, mais c'est également son aspect le plus éreintant. Trouver l'angle d'attaque, produire l'effet escompté en mesurant les silences, en ajustant la longueur d'une phrase, en produisant des images. Ça ralentit le rythme de rédaction, ça augmente l'angoisse liée à l'écriture, ça force l'empathie, ça ébranle et ça demande qu'on se maintienne en équilibre sur le fil narratif qu'on a pris soin de tendre entre le sujet et le lecteur.

Pas facile! D'autant plus que je me suis donné un échéancier serré que je peine à respecter...

Me voici aux deux tiers du parcours et je chancelle. Je ne sais plus par où prendre mon histoire, comment garder l'équilibre. Je regrette même d'avoir amorcé ce projet imprévu. Je sais que je vais le mener à terme, ce livre. Je sais que j'en serai fort probablement assez fier. Mais je traverse cette phase de doute qui exige de prendre une pause. De réfléchir un peu à la démarche. De mettre des mots sur mes angoisses. Retrouver le moyen d'entrer de nouveau en phase avec mon univers narratif, étape nécessaire à la poursuite de l'avancée. Voilà où j'en suis.

Mais bon. L'éditrice est contente, c'est ce qui compte. Le spectacle est bon et, peu importe si le funambule se rompt le cou, le livre finira par paraître.


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